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LE VOYAGE AMOUREUX
La pianiste lituanienne Mûza Rubackyté a
réuni ces cinq partitions sous le titre : " Parcours satanique
". On pourra discuter a priori du choix d'un titre aussi accrocheur
avant d'avoir écouté cette pianiste. Pour ma part, j'ai
été immédiatement séduit par la justesse et
la musicalité de cette interprétation. Mûza
Rubackyte n'imagine certainement pas l'œuvre sous le seul angle
pianistique. La virtuosité, qu'elle maîtrise sans
conteste, est ici totalement assujettie à une dimension
littéraire de l'interprétation. Les râles et les
souffrances de la Divine Comédie explorent les basses et les
brusques silences d'Après une lecture de Dante, la
Méphisto Polka, les échos des frottements harmoniques
d'une sixième et ultime version des Méphisto-Valses. Plus
remarquables encore, les accélérations abruptes et
pourtant sans aucune sécheresse des ornementations des
Bagatelles sons tonalité rendent toute sa modernité et sa
poésie à cet opus rare. Mûza Rubackyte quête
en permanence le timbre le plus adéquat au climat: elle " casse
" le son pour aussitôt après le tendre comme du velours,
le dilate et en contracte les lambeaux de phrases interrogatives. Ce
qui pourra passer pour du maniérisme aux yeux de certains
constitue en l'occurrence, ä mes yeux, le signe d'une lecture
aboutie. La richesse des couleurs du Steinway rend merveilleusement
cr6dibtes les mouvements de balancier de la Sonate en si mineur : la
pianiste goûte alors les respirations des jeux d'orgue, allonge
l'espace sonore avec un sens du temps symphonique. Pour moi qui aime
dans ce répertoire autant Richter que Horowitz, Argerich, Gilels
ou Pollini, une version aussi amoureuse des couleurs de son piano,
aussi peu épique et grandiose et aussi éloignée
des approches précipitées que celle de Mûza
Rubackyte mérite bien une place... à leurs
côtés.
Stéphane
Frédérich, CLASSICA, June/juin 2000